Comprendre la notion de “fournisseur de matériaux” selon le Code civil du Québec
Dans le secteur de la construction au Québec, l’hypothèque légale de la construction constitue un puissant outil de protection pour les acteurs qui participent à la réalisation d’un projet. Toutefois, pour qu’un fournisseur de matériaux puisse bénéficier de cette protection, il doit satisfaire à des critères précis définis par le Code civil du Québec (C.c.Q.) et confirmés par la jurisprudence.
Selon l’article 2726 C.c.Q., l’hypothèque légale s’applique notamment « faveur des architecte, ingénieur, fournisseur de
matériaux, ouvrier, entrepreneur ou sous-entrepreneur, à raison des travaux demandés par le propriétaire de l’immeuble, ou à raison des matériaux ou services qu’ils ont fournis ou préparés pour ces travaux ». 
Autrement dit, pour être considéré comme un fournisseur de matériaux, il faut démontrer :
- que l’on a fourni les matériaux (et non simplement financé leur achat);
 - que l’on était propriétaire des biens avant la livraison;
 - que l’on a transféré la propriété des matériaux au propriétaire ou à l’entrepreneur;
 - que les matériaux ont été livrés et utilisés dans les travaux de construction ou de rénovation.
 
Sans ces éléments, il est impossible de prétendre à une hypothèque légale valide.
Le cas Gestion Power inc. : un exemple de ce qui n’est pas un fournisseur de matériaux
Dans l’affaire Caisse Desjardins du Sud-Ouest de Montréal c. Gestion Power inc., 2022 QCCS 1851, la Cour supérieure a précisé les limites de la notion de “fournisseur de matériaux”.
Gestion Power inc. prétendait détenir une hypothèque légale sur un immeuble après avoir “fourni” des matériaux pour des travaux de rénovation. Or, la preuve a révélé que :
- la société n’avait jamais opéré dans le commerce de matériaux;
 - elle n’avait produit aucune facture, bon de commande ni bon de livraison;
 - elle ne possédait pas de compte bancaire, n’était pas inscrite à la TPS/TVQ et transigeait uniquement en argent comptant;
 - surtout, elle ne détenait pas la propriété des matériaux achetés ni ne les avait livrés elle-même.
 
En réalité, Gestion Power avait simplement avancé les fonds nécessaires pour que d’autres achètent les matériaux. La Cour a donc jugé qu’il s’agissait d’un financement de l’achat, et non d’une fourniture de matériaux.
Le tribunal a conclu que Gestion Power :
« ne peut ici prétendre être un fournisseur de matériaux. Tout au plus, Gestion Power finance l’acquisition de matériaux, mais elle n’est jamais propriétaire de ces matériaux, ne les transporte pas, ne les livre pas et, surtout, ne les vend pas. »
Ainsi, l’hypothèque légale inscrite par Gestion Power a été radiée et jugée abusive.
Pourquoi cette distinction est cruciale?
La décision rappelle que le statut de “fournisseur de matériaux” est strictement encadré. Une entreprise qui agit seulement comme prêteur ou intermédiaire ne peut bénéficier de la protection hypothécaire prévue à l’article 2726 C.c.Q.
Conclusion
L’hypothèque légale de construction est un droit puissant, mais réservé à ceux qui participent réellement à la construction ou fournissent concrètement des matériaux. L’affaire Gestion Power inc. (2022 QCCS 1851) en est un rappel éloquent : financer ou rembourser l’achat de matériaux ne suffit pas pour être considéré comme un fournisseur au sens du Code civil.
Chez Bastia, nous accompagnons les fournisseurs, entrepreneurs et professionnels de la construction à chaque étape de leurs démarches légales — de la dénonciation de contrat à l’inscription d’une hypothèque légale — afin de protéger efficacement leurs créances et leurs droits sur les chantiers au Québec.