Au sein même des différents types d’hypothèque légale, l’une d’entre elles se distingue. Elle se distingue de par le statut que celle-ci détient parmi les diverses autres hypothèques. En effet, considérant le pseudo caractère occulte de celle-ci[1] ainsi que sa supériorité de rang pour la plus-value apportée par des travaux de construction[2], il est possible d’en conclure que le législateur lui accorde une importance plus grande que les autres[3]. Cela se justifie notamment par le fait que les contrats de construction prennent généralement la forme de contrat d’entreprise dont le paiement de l’entrepreneur sera fait une fois les travaux terminés[4]. Il est donc bien entendu préférable que les entrepreneurs aient un certain statut particulier si l’on souhaite chercher à encourager ceux-ci à procéder auxdits travaux sur des immeubles.
La naissance de l’hypothèque légale de la construction
Tel que précédemment mentionné, l’hypothèque légale de la construction jouit d’un certain statut particulier. En effet, celle-ci prendra naissance par le seul effet de la loi sans qu’aucune formalité quelconque n’ait à être complétée. Attention cependant, il ne s’agit pas d’une absence de formalité ad vitam aeternam, mais nous y reviendrons.
Tâchons d’étudier les conditions de fond reliées spécifiquement à la naissance de l’hypothèque légale de la construction. Ces conditions se trouvent énumérées à l’article 2726 du Code civil du Québec :
2726. L’hypothèque légale en faveur des personnes qui ont participé à la construction ou à la rénovation d’un immeuble ne peut grever que cet immeuble. Elle n’est acquise qu’en faveur des architecte, ingénieur, fournisseur de matériaux, ouvrier, entrepreneur ou sous-entrepreneur, à raison des travaux demandés par le propriétaire de l’immeuble, ou à raison des matériaux ou services qu’ils ont fournis ou préparés pour ces travaux. Elle existe sans qu’il soit nécessaire de la publier.
Donc, il faut 1) que le créancier[5] ait participé à 2) des travaux de construction, de rénovation ou ait fourni des matériaux utiles pour ces travaux, 3) que ces travaux aient été demandés par le propriétaire de l’immeuble et 4) que ces travaux aient engendré une plus-value à la valeur de l’immeuble[6].
Du moment où ces critères sont remplis, l’hypothèque prendra ainsi naissance et ce pour une période de 30 jours suivant la date de la fin des travaux sans qu’il soit nécessaire de la publier[7]. Toutefois, il est primordial pour le créancier hypothécaire de procéder à l’inscription de ladite hypothèque avant l’expiration du délai de trente (30) jours et de signifier cet avis d’hypothèque au propriétaire de l’immeuble dans le but de conserver l’hypothèque[8]. Cette publication permettra ainsi de s’assurer que l’hypothèque demeurera valide pour une période de 6 mois à compter de la fin des travaux[9]. Au surplus, il est important de rappeler que, pour le bénéficiaire n’ayant pas directement contracté avec le propriétaire de l’immeuble, l’hypothèque couvrira les travaux à partir du moment où une dénonciation écrite du contrat aura été faite au propriétaire[10]
À partir du moment où le délai de 6 mois expire, l’hypothèque s’éteindra de plein droit[11] et tout intéressé pourra demander à ce que soit radiée ladite hypothèque[12]. Il existe cependant deux manières de procéder afin que soit conservée l’hypothèque au-delà du délai de 6 mois. La première étant de publier une action contre le propriétaire de l’immeuble et la seconde, d’inscrire un préavis d’exercice d’un droit hypothécaire. Dans ces deux cas de figure, l’hypothèque subsistera encore le temps que les procédures soient complétées.
Définition de l’hypothèque
L’article 2660 du Code civil du Québec définit l’hypothèque ainsi :
2660. L’hypothèque est un droit réel sur un bien, meuble ou immeuble, affecté à l’exécution d’une obligation; elle confère au créancier le droit de suivre le bien en quelques mains qu’il soit, de le prendre en possession ou en paiement, de le vendre ou de le faire vendre et d’être alors préféré sur le produit de cette vente suivant le rang fixé dans le présent code.
En résumé, l’hypothèque est un droit sur un bien (par exemple sur un meuble ou sur un immeuble, tel qu’un bâtiment ou un terrain) affecté en garantie d’une obligation, telle qu’une dette. Contrairement à une certaine croyance populaire, une hypothèque n’est pas un prêt, mais bien une garantie de paiement.
Hypothèque conventionnelle et hypothèque légale
Comme le précise l’article 2664 du Code civil du Québec, l’hypothèque doit répondre à des paramètres strictement autorisés par la loi :
2664. L’hypothèque n’a lieu que dans les conditions et suivant les formes autorisées par la loi. Elle est conventionnelle ou légale.
Comme le précise cet article, l’hypothèque ne peut prendre que deux formes, à savoir l’hypothèque conventionnelle et l’hypothèque légale.
L’hypothèque conventionnelle
L’hypothèque conventionnelle est celle qui est créée par une convention ou par un contrat entre deux parties. Par exemple, lorsque des acheteurs désirent obtenir un prêt pour l’acquisition d’un immeuble, leur banque va habituellement requérir une hypothèque sur l’immeuble qu’ils convoitent. Dans ce cas de figure, c’est le contrat, produit par le notaire saisi du dossier, qui va obliger les acheteurs à offrir l’immeuble qu’ils désirent acquérir en garantie du prêt accordé par leur banque.
L’hypothèque légale
L’hypothèque légale est celle qui est créée par la loi et qui est fréquemment assimilée à un privilège légal. D’ailleurs, dans les états et les provinces de common law, l’hypothèque légale est désignée par l’appellation « privilège », rappelant ainsi le caractère exclusif de cette hypothèque.
Ce sont les articles 2724 à 2732 du Code civil du Québec qui traitent spécifiquement des droits et modalités de l’hypothèque légale.
Selon la Loi, seulement quatre (4) types de créances peuvent donner ouverture à une hypothèque légale :
2724. Les seules créances qui peuvent donner lieu à une hypothèque légale sont les suivantes:
- Les créances de l’État pour les sommes dues en vertu des lois fiscales, ainsi que certaines autres créances de l’État ou de personnes morales de droit public, spécialement prévues dans les lois particulières;
- Les créances des personnes qui ont participé à la construction ou à la rénovation d’un immeuble;
- La créance du syndicat des copropriétaires pour le paiement des charges communes;
- Les créances qui résultent d’un jugement.
Ainsi, outre certaines créances de l’État, trois (3) types de créances privées peuvent donner ouverture à une hypothèque légale.
Les avantages de l’hypothèque légale
Les recours personnels ou ordinaires
Les recours personnels constituent la voix procédurale usuelle lorsqu’un créancier ne bénéficie pas du privilège conféré par une hypothèque. On parle généralement d’un recours ordinaire qu’un créancier peut faire valoir envers son débiteur, le tout conformément à l’article 2646 al. 1 du Code civil du Québec :
2646 al 1. Les créanciers peuvent agir en justice pour faire saisir et vendre les biens de leur débiteur.
Selon cet article, une personne à qui l’on doit de l’argent doit donc faire un recours en justice et payer les frais qui en découlent, par exemple les frais judiciaires (tel qu’un timbre de cour, les huissiers, etc.) et extrajudiciaires (tel que les frais d’avocats pour les représenter).
Dans l’avancement du dossier judiciaire, celui à qui l’argent est dû (le créancier) devra faire la preuve de sa réclamation devant un juge et obtenir un jugement. Même s’il est indiscutable qu’une somme lui est due (par exemple, par une facture ou un avis de cotisation impayés), la procédure pour obtenir un jugement est longue et il n’est pas rare que plus de douze (12) mois s’écoulent pour être entendu par un juge après l’ouverture d’un recours judiciaire. De plus, le juge dispose généralement de six (6) mois pour rendre son jugement.
Plus encore, et ce qu’il est essentiel de comprendre, un jugement n’équivaut pas à de l’argent. Une fois le jugement rendu, et lorsque le payeur refuse ou est incapable de payer ce qui est ordonné dans le jugement, le créancier doit mandater un huissier afin de saisir et vendre les biens en paiement de la dette.
Encore une fois, le créancier doit avancer les frais des huissiers pour saisir le débiteur qui lui doit de l’argent. Les huissiers sont également tenus de distribuer les sommes saisies en proportion des créances de chacun des créanciers qui ont également réalisé une saisie sur cette même personne selon les articles 2644 et 2646 al. 2 du Code civil du Québec qui prévoient que tous les biens d’un débiteur peuvent être saisis et vendus en paiement d’une dette :
2644. Les biens du débiteur sont affectés à l’exécution de ses obligations et constituent le gage commun de ses créanciers.
2646 al. 2. En cas de concours entre les créanciers, la distribution du prix se fait en proportion de leur créance, à moins qu’il n’y ait entre eux des causes légitimes de préférence.
En somme, les recours personnels (ou ordinaires) sont généralement dispendieux et longs avant qu’un créancier ne puisse être finalement payé. Il est également possible que le débiteur ne soit pas solvable à l’issue du processus de justice, de sorte qu’un créancier ne sera jamais pleinement payé, même s’il possède un jugement.
Le recours hypothécaire
Pour des motifs d’enrichissement et d’efficacité, le législateur a identifié des créances protégées par la loi, soit celles prévues à l’article 2724 du Code civil du Québec tel que présenté ci-haut.
Le privilège accordé à ces créances permet, en outre, d’obtenir un immeuble en garantie sans devoir prendre une action judiciaire. Cette garantie immobilière prend la forme d’une hypothèque publiée au Registre foncier du Québec qui permettra ultimement de saisir l’immeuble si la créance n’est pas payée.
Contrairement aux recours personnels qui visent tous les biens d’un débiteur, les recours hypothécaires visent uniquement la garantie visée par l’hypothèque, notamment l’immeuble offert en garantie par l’hypothèque légale.
Les recours hypothécaires sont également beaucoup plus expéditifs. Ainsi, les débiteurs ont intérêt à payer rapidement leurs créances s’ils désirent conserver leur immeuble. À défaut, son créancier pourra le saisir en paiement de sa créance.
En somme, les créanciers qui bénéficient d’une hypothèque légale sont généralement avantagés par un recours hypothécaire plutôt que par un recours personnel.
Si vous détenez une créance protégée par l’article 2724 du Code civil du Québec et que vous demeurez impayé, vous pouvez agir dès maintenant pour obtenir votre dû.
Me Samuel Grisé, avocat
[1] Art. 2726 in fine et art. 2727, al.1 C.c.Q.
[2] Art. 2952 C.c.Q.
[3] Kauffman, SS 51 à 55
[4] Kauffman citant Notary G Giroux, voir NBP 36 et 37 de son livre
[5] Rappelons que ce créancier doit être l’un de ceux expressément prévus à l’article 2726 C.c.Q.
[6] Art. 2728 C.c.Q.
[7] Art. 2727, al.1 C.c.Q.
[8] Art. 2727, al.2 C.c.Q.
[9] Art. 2727, al.3 C.c.Q.
[10] Art. 2728 C.c.Q.
[11] Art. 2727, al.3 C.c.Q.
[12] Art. 3061, al.1 C.c.Q.