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Dans le domaine de la construction, les contrats et les factures prévoient généralement des intérêts pour les paiements en retard. Parfois, il arrive qu’une facture ou un contrat ne stipule aucun taux d’intérêt applicable en cas de défaut de paiement.
Il y a donc lieu de déterminer si un taux d’intérêt, notamment l’intérêt légal, voire l’indemnité additionnelle, s’appliquent en cas de non paiement et déterminer quel est le taux applicable ainsi que la date de computation.
Taux d’intérêt applicable
C’est l’article 1617 du Code civil du Québec est dicte la règle générale du taux d’intérêt applicable résultant du retard dans l’exécution d’une obligation de payer une somme d’argent :
Les dommages-intérêts résultant du retard dans l’exécution d’une obligation de payer une somme d’argent consistent dans l’intérêt au taux convenu ou, à défaut de toute convention, au taux légal.
Le créancier y a droit à compter de la demeure sans être tenu de prouver qu’il a subi un préjudice.
Le créancier peut, cependant, stipuler qu’il aura droit à des dommages-intérêts additionnels, à condition de les justifier.
Code civil du Québec, RLRQ c CCQ-1991, art 1617, https://canlii.ca/t/1b6h#art1617.
Comme le mentionne l’article précité, le taux d’intérêt applicable est le taux convenu contractuellement ou, à défaut de toute entente, le taux légal.
Taux d’intérêt conventionnel
Lorsque les parties ont convenu d’un taux d’intérêt spécifique dans leur contrat, c’est ce taux qui s’applique. On parle alors d’un taux d’intérêt conventionnel puisqu’il est prévu dans une convention, un contrat ou une entente.
Le taux d’intérêt doit être clairement établi dans le contrat pour éviter toute ambiguïté. Les intérêts conventionnels peuvent souvent être supérieurs au taux légal, reflétant les conditions particulières négociées entre les parties.
Taux d’intérêt d’une facture
Lorsque le taux d’intérêt n’a pas été préalablement négocié entre les parties, les tribunaux reconnaissent généralement que la simple indication de l’application d’un taux d’intérêt sur une facture est sans effet juridique.
C’est d’ailleurs ce qui a été décidé par la Cour du Québec dans la décision Gauthier c. Morris:
[32] L’absence d’entente consensuelle entre les parties a généralement comme résultat, à moins de circonstances particulières, qu’un créancier peut difficilement réclamer des intérêts au taux qui lui convient ou qu’il estime approprié.
[33] Ainsi, on reconnaît que la simple mention sur une facture qu’une créance impayée portera intérêt à compter du moment énoncé à un certain taux n’a pas d’effet en l’absence d’une démonstration comme quoi le débiteur a consenti à certaines modalités de crédit.
[34] À titre d’illustration, dans l’affaire Municipalité de St-Alfred c. Onyx Industries inc. la Cour d’appel ne s’est pas satisfaite d’une mention figurant sur des bons de livraison pour conclure qu’elle devait octroyer des intérêts à un taux annuel de 24 %. Voici comment elle évacue la question.
[13] La jurisprudence a déjà déterminé que « la simple indication d’un taux d’intérêt sur les billets de livraison ne constitue pas une convention permettant de réclamer un taux d’intérêt autre que le taux légal ».
Gauthier c. Morris, 2014 QCCQ 13478, https://canlii.ca/t/gg7sg
Ainsi, il appert qu’en l’absence d’une preuve (telle qu’une entente écrite) démontrant que les parties se sont entendues sur un taux d’intérêt conventionnel, l’application du taux d’intérêt qui appert uniquement sur une facture n’est pas opposable au débiteur.
Conséquemment, c’est le taux d’intérêt légal qui s’appliquera généralement en pareilles situations.
Taux d’intérêt légal
Conformément à l’article 1617 C.c.Q. stipulé ci-haut, les dommages-intérêts résultant du retard dans l’exécution d’une obligation de payer une somme d’argent consistent au taux légal à défaut de toute entente contraire entre les parties.
Le taux d’intérêt légal est fixé à 5 % par l’article 3 de la Loi sur l’intérêt:
Chaque fois que de l’intérêt est exigible par convention entre les parties ou en vertu de la loi, et qu’il n’est pas fixé de taux en vertu de cette convention ou par la loi, le taux de l’intérêt est de cinq pour cent par an.
Loi sur l’intérêt, LRC 1985, c I-15, art 3, https://canlii.ca/t/ckll#art3.
Ainsi, tout compte impayé, sans stipulation à l’effet contraire, porte légalement intérêt à 5 % l’an.
L’indemnité additionnelle
Objectif de l’indemnité additionnelle
En parallèle aux intérêts, l’article 1619 du Code civil du Québec prévoit également le droit à l’indemnité additionnelle lors que le taux d’intérêt est inférieur au taux d’intérêt fixé pour les créances de l’État en application de l’article 28 de la Loi sur l’administration fiscale (chapitre A-6.002) :
1619. Il peut être ajouté aux dommages-intérêts accordés à quelque titre que ce soit, une indemnité fixée en appliquant à leur montant, à compter de l’une ou l’autre des dates servant à calculer les intérêts qu’ils portent, un pourcentage égal à l’excédent du taux d’intérêt fixé pour les créances de l’État en application de l’article 28 de la Loi sur l’administration fiscale (chapitre A-6.002) sur le taux d’intérêt convenu entre les parties ou, à défaut, sur le taux légal.
Code civil du Québec, RLRQ c CCQ-1991, art 1619, https://canlii.ca/t/1b6h#art1619.
L’indemnité additionnelle évoquée représente un intérêt complémentaire que le législateur a décidé d’octroyer au créancier d’une obligation contractuelle. Elle vise à compenser la perte due à l’écart entre le taux d’intérêt applicable (généralement le taux légal de 5,00 %) et celui applicable à une créance gouvernementale, subie en raison du retard de paiement de la somme due. Ainsi, l’indemnité additionnelle s’ajoute à l’intérêt autorisé par l’article 1617 du Code civil du Québec et constitue, comme cet intérêt, un élément accessoire de la créance.
Il est cependant important de préciser que l’indemnité additionnelle jouit d’un traitement différent de l’intérêt par les tribunaux :
[29] En pareille matière, les tribunaux possèdent un pouvoir discrétionnaire encore plus étendu. Lorsque les circonstances le justifient, ils peuvent même refuser l’octroi de l’indemnité additionnelle :
[50] Notons d’abord que la loi distingue entre l’octroi de l’un et de l’autre. Si l’octroi des intérêts est la règle de façon quasi universelle, celui de l’indemnité additionnelle est l’objet de discrétion judiciaire et il arrive parfois, ce n’est pas si rare, qu’elle soit refusée.
Clément c. Painter, 2013 QCCA 99, https://canlii.ca/t/fvsrd.
Application de l’indemnité additionnelle au taux conventionnel
Même si, théoriquement, l’indemnité additionnelle s’applique « sur le taux d’intérêt convenu entre les parties » au sens de l’article 1619 du Code civil du Québec, on applique que très rarement cette indemnité au taux conventionnel en pratique. En effet et considérant que les taux conventionnels sont généralement plus importants que le taux d’intérêt fixé pour les créances de l’État, il n’y a alors aucun réel dommage subi par le créancier ni aucun profit tiré par le débiteur occasionnés par les délais de son défaut de paiement.
Ainsi, dans ce premier cas de figure, le taux d’intérêt légal en sus de l’indemnité additionnelle totalisent 10,00 % l’an et toute créance impayée peut porter intérêt à ce pourcentage au sens de la loi.
Application de l’indemnité additionnelle au taux légal
À titre illustratif, au moment d’émettre le présent article, le taux d’intérêt fixé pour les créances de l’État est de 10,00 %.
Ainsi, dans ce premier cas de figure, le taux d’intérêt légal en sus de l’indemnité additionnelle totalisent 10,00 % l’an et toute créance impayée peut porter intérêt à ce pourcentage au sens de la loi.
Le taux de l’indemnité additionnelle
Afin de déterminer le taux de l’indemnité additionnelle, il faut se référer au taux publiée à la Gazette officielle du Québec :
Le taux d’intérêt applicable à un remboursement prévu au deuxième alinéa, pour un trimestre, est publié à la Gazette officielle du Québec.
Loi sur l’administration fiscale, RLRQ c A-6.002, art 28 al. 3., https://canlii.ca/t/19b6#art28.
Le taux d’intérêt fixé pour les créances de l’État en application de l’article 28 de la Loi sur l’administration fiscale est disponible en ligne à la page des Taux d’intérêts sur les créances publié sur le site de Revenu Québec.
Date de la computation des intérêts
Malgré le fait que l’article 1617 C.c.Q prévoit que « le créancier y a droit [aux intérêts] à compter de la demeure », la jurisprudence majoritaire est à l’effet que le créancier a effectivement droit aux intérêts à partir de la mise en demeure, à moins qu’une convention ne stipule que l’échéance du terme confère ce droit.
C’est d’ailleurs ce qui a été jugé par la Cour supérieure du Québec dans la décision Péladeau c. Placements Péladeau inc. :
[288] L’intérêt légal court à compter de la « demeure » (art. 1617 al. 2 C.c.Q.). Ce terme à un sens légal bien défini. Comme le soulignent les auteurs Lluelles et Moore, « [i]l importe de ne pas confondre arrivée de l’échéance et demeure du débiteur; l’arrivée du terme ne met pas ipso facto le débiteur en demeure, sauf convention contraire (art. 1594 al. 1) » (no 2520, note omise; voir aussi no 2514).
Péladeau c. Placements Péladeau inc., 2020 QCCS 1373 (CanLII), https://canlii.ca/t/j6vm1
Ainsi, il appert que la date de la computation des intérêts peut être différente si une convention est contraire à l’article 1617 C.c.Q.
Date de computation prévue à une convention
En considération de ce qui précède, une convention, un contrat, une entente ou tout autre écrit prévoyant une date précise pour computer les intérêts permet ainsi au créancier de réclamer ces intérêts à la date ayant été convenue entre les parties.
Date de computation légale des intérêts
À défaut d’entente entre les parties, la date de computation des intérêt débutera au moment ou le débiteur sera en demeure au sens des articles 1594 et 1595 du Code civil du Québec :
1594. Le débiteur peut être constitué en demeure d’exécuter l’obligation par les termes mêmes du contrat, lorsqu’il y est stipulé que le seul écoulement du temps pour l’exécuter aura cet effet.
Il peut être aussi constitué en demeure par la demande extrajudiciaire que lui adresse son créancier d’exécuter l’obligation, par la demande en justice formée contre lui ou, encore, par le seul effet de la loi.
1595. La demande extrajudiciaire par laquelle le créancier met son débiteur en demeure doit être faite par écrit.
Elle doit accorder au débiteur un délai d’exécution suffisant, eu égard à la nature de l’obligation et aux circonstances; autrement, le débiteur peut toujours l’exécuter dans un délai raisonnable à compter de la demande.
Code civil du Québec, RLRQ c CCQ-1991, art 1594, https://canlii.ca/t/1b6h#art1594.
Généralement, un débiteur sera considéré en demeure suivant la réception d’une « demande extrajudiciaire » écrite qui est aussi connue sous le nom de mise en demeure.
Date de computation de l’indemnité additionnelle
Concordamment, nous sommes d’avis que la date de la computation de l’indemnité additionnelle est la même que l’intérêt légal, soit lorsque le débiteur est en demeure.
C’est d’ailleurs ce qui a été décidé dans l’arrêt Djelidi c. Imbeault de la Cour d’appel du Québec :
[10] […] À défaut d’une mise en demeure, les intérêts et l’indemnité ne devaient commencer à courir qu’à compter de la demande en justice […] .
Djelidi c. Imbeault, 2008 QCCA 1103 (CanLII), https://canlii.ca/t/1x5z4.
Ainsi et conformément à l’alinéa 2 de l’article 1594 C.c.Q. précité, le calcul de l’indemnité additionnelle débutera à la date de la mise en demeure ou, à défaut, à la date de l’assignation de la demande en justice.
Conclusion
En résumé, les
Je suis d’avis en autant que le propriétaire d’un immeuble grevé d’un privilège ou que le tiers acquéreur de cet immeuble sont visés, l’enregistrement d’un privilège conserve le même droit de préférence à l’égard de l’intérêt, qu’il soit légal ou conventionnel, de l’indemnité additionnelle et des frais judiciaires. Il s’agit là d’accessoires à la créance privilégiée.
2864-8350 Québec inc. c. Carreaux fleuris inc., 1998 CanLII 13235 (QC CA), https://canlii.ca/t/1ncv7
XXX
L’hypothèque légale garantit non seulement le capital de la créance mais également les intérêts échus. L’article 2959 C.c.Q. précise que l’inscription de l’hypothèque conserve au créancier, au même rang que le capital, les intérêts échus de l’année courante et des trois années précédentes. Cela signifie que les intérêts conventionnels ou légaux peuvent être protégés par cette hypothèque.
b. Limites de la garantie
Il est important de noter que seuls les intérêts échus de l’année courante et des trois années précédentes sont garantis par l’hypothèque légale. Au-delà de cette période, les intérêts ne bénéficient pas de cette protection.
c. Jurisprudence pertinente
La jurisprudence, notamment l’affaire « Carreaux Fleury inc. c. Développements Salette inc. », confirme que les intérêts conventionnels peuvent être garantis par le privilège de l’hypothèque légale. Cette décision souligne que les intérêts, qu’ils soient conventionnels ou légaux, peuvent être réclamés et garantis par le privilège, pourvu qu’ils soient échus avant le jugement.
Conclusion
Les intérêts applicables à une facture ou un contrat en construction, même sans stipulation explicite, peuvent être réclamés au taux légal ou conventionnel. De plus, ces intérêts peuvent être garantis par le privilège de l’hypothèque légale, offrant une protection substantielle aux créanciers. Il est donc crucial pour les entrepreneurs et les sous-traitants de connaître ces dispositions pour s’